Le Livre des Ombres est un nocturne, une rêverie "d'ombres portées" gardant le souvenir d'un matériau antérieur issu d'un opéra pour marionnettes : Le Trésor de la Nuit. Ce matériau, retravaillé, développé autrement, enrichi, s'offre ainsi comme un prolongement, comme une re - création s'inscrivant dans le concept ancien de "work in progress’’. Quant au traitement de ce trio avec piano, il essaye modestement de se démarquer de la tradition d'écriture affiliée à ce genre spécifique en concevant ces trois instruments à travers leurs entités propres. C'est ainsi que le discours s'organise peu à peu à partir d'une vision "soliste" avant que de parvenir à l'élaboration d'une écriture d'ensemble où chaque instrument n'en continue pas moins de préserver son autonomie. Renouant avec l'ancienne notion linéaire de la polyphonie (par lignes indépendantes se superposant plutôt que par addition de parties pensées harmoniquement) le langage que j'utilise est à la fois atonal, modal, dodécaphonique, chromatique et diatonique. En outre, pour être clair, je ne renie (ici comme ailleurs) ni la thématique, ni l'harmonie, ni la pulsation rythmique. Mais, par l’articulation, par la courbe mélodique et le phrasé, par un travail d'écriture thématique cellulaire, je cherche, d'un côté, à créer une logique et une évidence qui mettent en jeu une unité supérieure du matériau au sein d'une diversité discursive (s'appuyant sur la variation continue), et, de l'autre, un Temps linéaire, suspendu et immobile tel l’éternité. Quant à la dimension formelle, elle n'est jamais préétablie. En cela, je mets en application l'une des leçons de mon maître dont j'entends toujours la voix me dire : "La musique ne se plie jamais à l'Idée. Écoute ton matériau, c'est lui qui te guidera. Développe ton oreille intérieure."
Le Rhumb est la direction définie par l’angle que fait, dans le plan de l’horizon, une droite quelconque avec la trace du méridien sur ce plan. Cette œuvre est ainsi constituée d’écarts nés (comme autant de réminiscences de mon enfance sénégalaise) d’une certaine direction de ma mémoire. De fait, né en Afrique, blanc de peau, la musique des tams-tams a résonné à mes oreilles bien avant que je ne découvre ma première œuvre symphonique occidentale : Sur un Marché Persan de Ketelbey ! Refoulée par des études classiques, la musique de mes origines ombilicales est remontée un jour jusqu’à mes sens auditifs qui furent éveillés par un compositeur marocain dont la mémoire – filtrée par la tradition occidentale héritée de Brahms et Schoenberg – revisitait les maqam (modes orientaux) et l’ahwach (architecture musicale et rythmique propre à la musique berbère). L’art, dit-on, suppose un métier. Et donc, l’apprentissage et l’assimilation de règles plus ou moins complexes. J’ai appris un jour que ceci était vrai tant dans le domaine de l’écriture que dans celui de l’oralité. L’art, dit-on encore, naît de la connaissance et de la transgression de celle-ci. Car, s’il n’était que connaissance, il serait la mémoire de lui-même, écho de ce qui fut, autant dire une hypothèse pour Énarque ! L’art entraînerait-il donc en son sillage une loi naturelle qui lui serait inhérente ? Celle de la trahison, de la transgression, par l’imaginaire, du réel et de la connaissance sur lesquels il prend appui ?Et l’oralité, afin de donner une descendance à sa mémoire, ne sacrifie-t-elle pas, elle aussi – par omissions et ajouts interposés – à cette même et identique dynamique évolutive ? La pureté de la tradition musicale ne serait donc qu’illusion ! Qu’à cela ne tienne : mettons bas la Théorie et les Tables de la Loi (qui sont de toutes les façons faites pour être brisées) et vive la liberté raisonnée de la praxis ! Paul Valéry écrit : « Comme l’aiguille du compas demeure assez constante, tandis que la route varie, ainsi peut-on regarder les caprices ou bien les applications successives de notre pensée, les variations de notre attention, les incidents de la vie mentale, les divertissements de notre mémoire, la diversité de nos émotions, de nos impulsions ».
Cette œuvre participe de ma préoccupation du sacré en Musique. Cet appel de l’Absolu, de ce qui nous dépasse, est resté vivace au plus profond de moi. De ce désir de transcendance qui anime l’être humain , de ce centre de gravité qui nous élève vers l’Infini, nous sort de notre condition matérielle, la Musique est, peut-être, l’expression la plus surréelle. A mes yeux donc, le sacré est la condition même de l’humain. C’est pourquoi j’ai, ici encore, utilisé le latin : langue aujourd’hui « morte », et, par là même, porteuse de l’énigmatique mystère, du sens perdu d’une origine ancienne. J’aime cette phrase de Pascal Quignard ; « Toute œuvre d’art est liée au sacré dans ce simple sens : une présence qui subjugue ». D’un autre côté, le terme de Concert, dans son acception du 17ème et 18ème français, est une forme assez libre, manifestant l’égalité des instruments convoqués et se rattachant au domaine de la musique de chambre. De plus, le nom de Concert Spirituel fut donné à une institution de concerts privés, créée en 1725 par Philidor qui sut promouvoir (en dehors de la Cour ou des églises) la musique religieuse de son temps. La nomenclature de cette page (une voix et deux violoncelles) fait en outre référence au genre des petits motets (tels ceux de Couperin) qui me semblent en adéquation parfaite avec l’intimité que requiert la participation au sentiment du sacré que je recherchais. Pour finir : les deux violoncelles sont pensés comme un seul instrument qui se démultiplierait à l’occasion...
Dans l’opéra que j’ai écrit d’après Villiers de l’Isle-Adam (L’Eve Future) et dont Michel Beretti fut l’adaptateur et le librettiste, il y a une scène où Edison (l’inventeur du phonographe) donne à son ami Lord Ewald (1), des informations essentielles à la compréhension de l’action. Notamment, la façon dont il a conçu sa « Femme – Machine » (dénommée Hadaly, ce qui signifie en persan « la femme idéale »). Mais surtout, Villiers nous donne, là, tout ce qu’il nous faut savoir sur Annie Anderson : laissée pour compte par son mari au profit d’une... danseuse de cabaret (nous sommes à la fin du 19ème siècle, ne l’oublions pas), puis recueillie par Edison en son château près de New York et qui, très malade, développe alors des dons extraordinaires de médium. C’est d’ailleurs elle (lorsqu’elle est en transe somnambulique) qui donne sa voix à Hadaly sous le nom de Sowana. Et c’est encore durant ces explications d’Edison que l’on comprend, en partie, que sa Machine lui « échappe » parfois, comme si elle prenait de temps à autre une véritable autonomie de pensée. De là à déduire que l’esprit de Sowana pourrait s’incarner dans cet artifice de femme... La réponse à cette question laissée en suspens (et qui donne tout son sel aux interventions d’Hadaly ) nous sera donnée à la toute fin de l’opéra. Et Villiers d’avoir en son roman l'idée de confier le support de ces explications à trois films tournés par Edison lui-même. Films que celui-ci projette à son Lord ami tout en les commentant et en répondant aux questions que leur visionnage suscite. On ne pouvait rêver plus pertinente intrusion dramatique du cinéma dans l’opéra, n’est-ce pas ? En outre, le metteur en scène qui avait accepter l’enjeu de cette partition n’était autre que le cinéaste Raoul Ruiz, grand connaisseur de cette littérature mais aussi véritable musicien (sachant lire une partition !). C’est ainsi qu’en l’attente de réponses hypothétiques de la part de certaines scènes françaises sollicitées pour la création de cet opéra, je décidais de réaliser une version, sans les voix, de la musique de ces trois films. Comme cette dernière était originellement orchestrée pour les mêmes douze instruments, le travail ne fut guère difficile et ne requit aucun ajout de musique, simplement de la copie. J’intitulais cette partition (avec un humour teinté d’ironie) What about Eve ? (Qu’en est-il d’Eve ? ... Cette Eve étant, en réalité, de plus en plus... Future). Avec ce titre, j’en profitais pour faire allusion au fait que cette page était une musique de film(s), tout en rendant hommage (par un vilain jeu de mots) à un célèbre film hollywoodien du grand Mankiewicz : All About Eve (portrait magnifique, sensible et cruel de la société américaine certes, mais aussi et surtout de l’archétype féminin que représente la figure tutélaire d’Eve... (Tiens, comme c’est bizarre, l’action se passe dans le milieu du théâtre !). J’allais donc pouvoir disposer enfin d’une bande sonore qui permettrait, me disais-je, d’éviter l’écueil que représente l’envoi, perçu apparemment comme une indélicatesse, d’une simple partition (celle-ci faisant en effet appel aux capacités de lecture musicale de celui qui la reçoit). Depuis ? Le soleil se lève toujours à l’Est...
(1) Ce dernier, voulant se suicider pour n’avoir trouver d’amour qu’en la beauté d’une Cantatrice qui n’émeut point son esprit, a reporté son acte fatal à la demande d’Edison qui a parié avec lui qu’il réussirait à le faire tomber amoureux de la Femme Idéale (« son » Hadaly, bien entendu).
Cette pièce est ma première œuvre pour guitare. Je l'ai écrite pour Alain Rizoul et la lui ai dédié en affection pour son obstination (à l'obtenir) tout autant qu' en preuve de reconnaissance de son talent. Le titre en est tiré du début d'un vers de Saint John Perse. Ce vers fait référence à l'écriture même de la partition et le mot sève est ici à double sens puisque ma compagne (qui m'a fait découvrir ce poète) se prénomme Séverine. En outre, la musique fait référence au poème dont le vers qui sert de titre est extrait. "Silencieusement va la sève..." suit ainsi, sans rigueur, l'éthos de ce poème. Sa structure formelle débute par une sorte d'onirique prélude (chargé de donner l'atmosphère poétique générale) qui s'enchaîne sur une marche paisible (sur pédale de la bémol) aux accents cependant dramatiques. Une transition mène ensuite à une danse se souvenant de l'Afrique. La fin de l'œuvre est une sorte de longue coda mettant en présence des bribes (plus ou moins développées) des divers matériaux compositionnels antérieurs... Comme des souvenirs qui afflueraient et se feraient, au fur et à mesure, plus précis avant que de s'évanouir définitivement. Ainsi cette pièce évoque-t-elle plus qu'elle ne raconte véritablement une histoire. A chacun d'imaginer dès lors la sienne... Alain Rizoul la présenta un jour en concert en disant qu'elle ne racontait pas le poème mais qu'elle était "le" poème. Tout en lui laissant la responsabilité de ce dire, j'ajouterai seulement cette phrase, souventes fois empruntée à un compositeur qui m'est parmi les plus chers : "la musique ce cache au-delà des notes" (Gustav Mahler).
Aruthin Sayadian (1712 – 1795)
Surnommé Sayat Nova (ce qui signifie le « chasseur de son » en Persan), Sayadian fut l’un des plus importants achough arméniens du 18ème (ce terme, qui désigne en arabe le mot amoureux, est aussi le nom que se donnaient les troubadours dans la tradition orientale). Il sera le musicien de la cour du roi Héracles II, et se voudra, dans le même temps, le serviteur du peuple (sa tâche de musicien – poète étant, selon ses propres mots, « d’ennoblir les sentiments et les qualités »). Il eût le malheur de tomber éperdument amoureux de la sœur du roi... Il sera exilé en 1762. Sans chercher un nouveau métier ou protecteur, il abandonnera alors son art pour se faire prêtre, puis moine (suivant à la fois en cela la voie de son père qui fut sacristain et son aspiration naturelle à la spiritualité). Sayat Nova sera tué dans la cathédrale de Sourb Gévork (St Georges) à Tiflis, lors de l’invasion de Agha Mohammad. Ce Tombeau en sa mémoire se veut une réminiscence intemporelle, un écho déformé, méconnaissable, d’une musique perdue et recréée de toutes pièces. Une partition funèbre et sereine à la fois, dans laquelle je me suis servi bien plus de la souplesse d’utilisation d’un sentiment modal que d’une modalité orientale spécifique. La couleur sonore y est ici rêvée et n’a donc rien d’authentique mais l’écriture, tout en restant d’essence occidentale y tente cependant de créer, par l’articulation, la courbe mélodique et le phrasé : un Temps linéaire et suspendu, immobile tel l’éternité. « Tirer l’éternel du transitoire ! » susurre toujours Baudelaire...
Dodécaphonique mais non sérielle, atonale mais usant de colorations modales, ma musique tient à assumer la perte du langage tonal hors des techniques à la mode, hors des esthétiques faisant écoles. Aussi, mon écriture tente-t-elle de fonctionnaliser tous les paramètres musicaux : en les hiérarchisant au sein d'une trajectoire modulatoire usant de champs harmoniques, de notes pivots, de pédales ou d’ostinati qui permettent cette illusion auditive) tout en prenant garde de ne pas se laisser prendre aux pièges de la « modernité » (qui n’est que la figure inversée de l’esthétique « néo-classique »). En un siècle ou la Terreur de l’Histoire est entrée dans la création, je récuse en effet en bloc toutes les nécessités historiques décrétées par mes aînés immédiats dans les années 50-60, et qui condamnent le Temps de la mémoire, décrètent des hétérodoxies, et prônent la recherche du nouveau (pour lui-même) en acculant ainsi l’œuvre à la dimension utopique du futur. Toute œuvre recèle, à mon sens, une promesse qui ne relève ni du prévisible ni du quantifiable. Et, afin d’ôter toute ambiguïté à mes propos, j’ajouterai qu’il ne s’agit en aucune façon de ma part d’esquisser une quelconque thématique réactionnaire ! Croire en la tradition et s’efforcer de la faire revivre ? C’est supposer que la tradition est morte. Ce que je ne suppose pas ! Et je persiste à croire que ce qui fait l’Histoire c’est bel et bien la continuité du discontinu (la notion de « progrès » n’étant qu’une illusion trompeuse).
Cette pièce pour violoncelle ainsi qu’une autre (pour piano) sont les seules rescapées d’un projet inabouti où j’avais conçu de faire quatre interludes (pour instruments solistes) entrecoupant l’exécution d’un ensemble de cinq chœurs chantant des textes de révolte ou de résistance, avec, pour parti pris, un texte d’une langue différente attribuée à chaque chœur. L’œuvre en son entièreté devait se nommer Noche Oscura. Ce projet, « pédagogique », devait de fait se mener avec l’Education Nationale (en mélangeant transversalement les classes à travers la participation de leurs professeurs d’Histoire, de Français, de Langues et de Musique) et un conservatoire (sur lequel je comptais pour former le petit ensemble dont j’avais besoin). Ce projet, avorté, m'a donné l'idée d'écrire une pièce pour violoncelle solo faisant référence au magnifique texte mystique de Saint Jean de la Croix : Noche Oscura.
Parcourue d’ostinati, de notes répétées, cette pièce, obsessive, se sert de manière détournée d ‘éléments intervalliques empruntés à l’Acte II / Scène 4 du Wozzeck d’Alban Berg. Plus précisément, il s’agit des trois notes chantées par Wozzeck en cette scène et ce, sur les paroles mêmes dont je me suis servi afin de donner un titre à ma partition : Mir wird Rot vor den Augen... Écrite sous le choc de la première Guerre du Golfe, le choix du titre est bien entendu explicite quant à mes intentions extra-musicales puisqu’il signifie : « Je vois rouge devant mes yeux. » Le double sens de cette phrase (colère et sang) rend compte de mon ressenti profond devant l’ignominie de cette guerre... déclarée pour une « juste cause » nous avait-on expliqué alors ! Or, je tiens pour insoutenable toute justification donnée à un acte entraînant la mort d’un être humain (de quelque ordre que cet acte et cette justification soit, car il n’y a aucune excuse à tuer et, en morale, la mort n’est assurément pas quantifiable). Quant à déclarer une guerre pour des intérêts financiers, j’avoue que, bien qu’ayant perdu mon innocence, tout mon être s’est révolté devant cette horreur acceptée par tant d’autres individus sur cette planète comme un simple fait divers télévisé ! C’est pourquoi j’ai voulu mettre en parallèle, ici, la mort d’un individu (Marie : devenue symbole culturel grâce à Büchner et Berg) et celle de plusieurs centaines d’anonymes qui n’avaient pour seul tort que d’être des civils irakiens pris dans les bombardements américains d’une guerre qui ne les concernait pas. Colère donc, contre la cupidité imbécile et irresponsable qui mène inéluctablement notre humanité à la barbarie. Que celle-ci envahisse notre quotidien, ou bien s’inscrive sur les pages de nos futurs cahiers d’Histoire, la barbarie est et reste la même et les morts qu’elle charrie sont, restent et resteront à jamais intolérables ! J’ai bien conscience que ce ne sont pas quelques notes écrites sur du papier musique qui changeront la face du monde. Cependant, malgré le côté dérisoire de ce cri personnel jeté dans l’immensité d’un univers sourd, je ne peux m’empêcher, en naïf que je reste, de croire que l’art peut changer les Hommes... A tout le moins, les faire réfléchir, indirectement. Cela dit, la Musique n’ayant rien d’autre à dire qu’elle-même, il ne s’agit ici, en aucune façon, de musique descriptive ou même anecdotique. Car ce qui fait sens en Musique, c’est ce qui s’entend. Mais, ce qui s’entend n’est rien d’autre... que le discours musical, les techniques qu’il déploie, et le langage qu’il choisit comme support afin d’articuler ensemble : un vocabulaire, une syntaxe et une grammaire appartenant spécifiquement à la... Musique. Quant aux intentions extra-musicales, elles restent au niveau d’une dramaturgie interne. Une dramaturgie qui détient des codes musicaux certes (changeant avec les époques) qui peuvent permettre, plus ou moins précisément, d’évoquer des sentiments, d’énoncer des sensations, d’exprimer des situations au travers d’une sensibilité capable de les percevoir. Mais ceci est un domaine où dès que l’auditeur se projette, le compositeur se retire laissant dès lors son œuvre vivre sa vie avec le mélomane qui s’en empare et la fait, par là-même, sienne...En exergue de la partition j’ai inscrit ces vers de Pierre Emmanuel « Au gré du sang / S’Effrite le Temps »...
Victime de ce que la police appelle dans son jargon un « truqueur », Claude Vivier est mort, assassiné, le 7 mars 1983. Sa mort, sans nul doute, il l’avait connue... Sa musique en porte les stigmates. Ainsi, son œuvre la plus ouvertement autobiographique (Journal) inclut-elle son propre requiem. Samarkand, la dernière page de lui qu’il entendit porte pour sa part en sous-titre : « Et la danse du Temps fut arrêtée par une triste nouvelle ». Quant à son avant-dernière partition achevée... elle se nomme Wo bist du Licht (Où es-tu Lumière ?) et dénonce avec virulence la violence : celle de l’intolérance, de l’assassinat politique, de la guerre, de la torture. Une œuvre qui est assurément la profession de foi d’un croyant en un monde que la Lumière semble avoir fui. Et cette lumière que Claude Vivier plaçait en Dieu, il ne peut s’empêcher de l’espérer, aussi en l’Homme. Son ultime pièce composée s’intitule Trois Airs pour un Opéra Imaginaire, comme s’il avait su à l’avance, inconsciemment, qu’il ne pourrait écrire celui qu’il avait en projet ! Dans ses papiers... Seize pages d’une partition interrompue dont il avait trouvé le titre : Crois-tu en l’Immortalité de l’Âme ? ... Dans sa bibliothèque : Victor Hugo, comme lui, politique et croyant, une page cornée parmi tant d’autres :
« Souvent, quand mon esprit riche en métamorphoses
Flotte et roule, endormi sur l’océan des choses
Dieu, foyer du vrai jour qui ne luit point aux yeux,
Mystérieux soleil dont l’âme est embrasée,
Le frappe d’un rayon. Et, comme une rosée,
Le ramasse et l’enlève aux Cieux... »
(Le Chant des Ténèbres)
Claude Vivier était un ami. Sa mort m’a bouleversé. Et je n’ai pu trouver le courage de lui rendre hommage que trois ans plus tard avec cette Liturgie des Morts où, de l’orchestration (le chœur d’hommes et la voix de garçon soprano font rappel à la fois de son imaginaire empli de rêves d’enfant tout autant que de sa réalité d’adulte) à la partie de violoncelle solo de la fin (à qui j’ai confié sa voix) en passant par le poème inédit de l’un de ses amis (que j’ai utilisé ici), son fantôme bienveillant hante la partition entière. Protestant (par éducation), je ne suis cependant pas croyant. En revanche, je crois en la puissance et en la prégnance du sentiment du Sacré, ainsi qu’en ce questionnement sans fin qui ouvre la porte de la réflexion philosophique, mystique et métaphysique ... que la Musique nous aide à franchir.
En tant que genre, le Magnificat pour orgue pose deux problématiques spécifiques. La première, d’ordre théologique, concerne l’interprétation de chacun des 7 versets que doit illustrer la partie d’orgue (les six autres étant chantés traditionnellement en alternance et sur la même mélodie de plain-chant).
La deuxième, d’ordre technique, étant de trouver une unité à ces diverses pièces brèves qui relèvent chacune de l’esthétique de la miniature. J’ai choisi de pratiquer ici un contrepoint atonal en usant principalement de deux techniques (celles de l’inversion et de la rétrogradation). Quant au matériau thématique (intervallique, harmonique et rythmique) il se révèle ici volontairement restreint et parcourt ces 7 pièces sous divers éclairages et traitements. Par un tel travail thématique, très fortement unitaire, j’ai voulu symboliser “musicalement” la pensée de Maître Eckhart selon laquelle : “Dieu est sans nom, car personne ne peut dire ou comprendre rien de Lui” … puisque les idées des choses créées sont en Lui, toute chose a donc été créée dans le “commencement absolu de son éternité” mais ne s’est pas manifestée en même temps. Tout est tiré du néant. Mais, parce que la créature participe à la divinité, elle est, à la fois, totalement dissemblable de Dieu et semblable (“Dieu est l’amour qui embrasse toute chose”). Sur un plan ésotérique, cette volonté de fondre le Tout en l’Un et l’Un dans le Tout se résume par la formule alchimique : en tô pan... Bien d’autres avant moi s’y sont essayés, dont Webern (qui fit quant à lui appel aux carrés magiques pour parvenir à ses fins).
Sur un plan architecturel, l’Amen final renvoie donc au Magnificat introductif ; la pièce n°5 (“Suscepit Israel…") est l’inversion du “Et misericordia…” (pièce n°3) ; le “Quia respexit” (n°2) entretient des liens étroits avec le “Deposuit potentes” (n°4) ; et le “Gloria Patri” (n°6) se fonde à nouveau sur le “Deposuit Potentes” (n°4). Ainsi ces 7 pièces s’articulent-elles, deux par deux, autour d'un axe central : le "Deposuit Potentes".
J'ai tout naturellement choisi d’inclure ce travail contrapuntique dans un écrin harmonique (atonal, dodécaphonique, chromatique, diatonique et modal) se rapprochant parfois de l’écriture de choral sans lui être pour autant réductible (cette référence est, en ce sens, un hommage à J.S. Bach dont les initiales musicales servent par ailleurs de matériau à plusieurs de ces pages).
Trois ans après sa mort paraissait en 1989, sous le titre Le Temps Scellé, les notes de travail d’Andrei Tarkovsky : des analyses sur le cinéma en tant que langage, des réflexions sur l’ontologie de cet art, sur les responsabilités et les exigences nécessaires à sa pratique, sur sa place parmi les autres arts et dans la civilisation occidentale. Autant d’écrits qui constituent de véritables Mémoires où la vérité spirituelle de l’homme rejoint celle du créateur. En ce recueil de textes, il est un concept du Temps qui m’a fasciné car il résonne en moi comme familier (Tarkovsky l’exprime ici lorsqu’il donne sa conception du montage cinématographique) : “… les raccords de plans organisent la structure du film mais ne créent pas, contrairement à ce que l’on croit d’habitude, le rythme du film. Ce dernier est fonction du caractère du temps qui passe à l’intérieur des plans. Autrement dit, le rythme du film n’est pas déterminé par la longueur des morceaux montés mais par le degré d’intensité du temps qui s’écoule en eux… C’est ce flux du temps, fixé dans le plan que le réalisateur doit saisir à l’intérieur des morceaux posés devant lui sur la table de montage…Le montage doit correspondre a un besoin organique du mode d’expression personnel…Ressentir le rythme d’un plan, c’est avoir le sentiment du mot juste dans un texte…Un mot impropre, un rythme inexact détruisent l’authenticité”. Ne pourrait-on dire la même chose de la Musique dans ses rapports entre le Temps qu’elle sculpte (son unicité irréductible, son sens profond, sa “vérité”) et la Forme à qui elle confie sa structure (son organisation singulière au sein du concret)? Depuis longtemps déjà je tente de cerner, circonscrire et débusquer ce qu’il y a d’indicible “vérité” en cet art abstrait, spirituel et métaphysique qui nécessite paradoxalement le passage concret par l’écriture et le langage pour redevenir ce qu’il est par essence : expression du sacré, fugacité de l’instant toujours fuyant et pourtant pérennité toujours renouvelée qui affirme la présence de l’éternel et de l’immuable !
Pour ce faire, le discours esthétique n’est cependant qu’une béquille car il faut bien relever ses manches et remplir de signes la feuille blanche à l’aide d’outils et de techniques qui ne sont, précisons-le, que musicaux et rien que musicaux ! Dans cette quête infiniment renouvelée d’un absolu insaisissable dans sa totalité, je me suis tourné vers un objectif ambitieux (mais restreint somme toute) : synthétiser les deux temps historiques de la musique (le premier, dit “statique” est celui de l’Orient, de la modalité, du langage monodique, celui des musiques ethniques, du chant grégorien, de Debussy, de Scelsi et des spectraux ; le second, dit “dynamique”, est celui de l'Occident, du discours, du contrepoint, de la polyphonie, celui de Bach, de Beethoven ou encore de Schoenberg, de Boulez et des structuralistes) en une seule écriture qui les traite tous deux simultanément (dans le même temps de l’œuvre). Ce, par le seul jeu de l’écriture. Dans ce pari, l’intensité du temps dont parle Tarkovsky semble bel et bien être le paramètre fondamental à maîtriser par et dans l’écriture.
Que dire donc, musicalement parlant, de cette intensité du temps sinon qu’elle est assurément due, à la fois :
C’est en tous les cas cette “intensité du temps” que j’ai désiré sculpter ici en hommage à ce créateur décédé trop tôt.
1. Alors même qu’au loin...
Inspirée de la formation du concerto pour clavecin de Manuel de Falla, cette œuvre en change quelque peu la formation : guitare solo (au lieu du clavecin), flûte, clarinette (au lieu du hautbois), violon, violoncelle et ajout de deux percussionnistes. Cette pièce « adapte » en outre la forme traditionnelle propre à ce genre musical. En effet, la guitare n'est pas traitée ici en tant qu’instrument soliste concertant avec un ensemble. Aussi, au sein du premier mouvement, développe-t-elle un matériau spécifique alors que l'orchestre obéit au sien propre. L’inévitable « cadence » est en outre démultipliée à travers trois interventions du soliste (la première se situant dans le premier mouvement, et les deux autres - l'une solo, l'autre accompagnée par le vibraphone - dans le second). Quant au troisième et dernier mouvement, il annihile, de par son écriture, la traditionnelle alternance concertante solo / tutti. L’œuvre ainsi structurée fait appel, en chacune de ses parties, à l’un des trois seuls choix esthétique et technique possible en matière de composition musicale : la pensée polyphonique, l’écriture harmonique, le traitement mélodique (la monodie)... Le timbre, le rythme, la dynamique et les hauteurs sont au service de chacune de ces écritures en tant qu’outils et matériaux, et non pas pensés comme autant de particularités autonomes pouvant être traitées en exclusion les unes des autres. De plus, si le second mouvement se veut un hommage incertain à la musique espagnole, le troisième fait référence à la musique arabo-andalouse alors que le premier n’est autre qu’une extension (recréée) d’une pièce plus ancienne dédiée à la mémoire du dernier musicien poète de cour de la Perse du XVIIème : Le Tombeau de Sayadian. Ce concerto est ainsi un voyage musical (à travers une réflexion sur l’Histoire) doublé d’un voyage intérieur. Il illustre de plus la volonté de me confronter (en les subvertissant) à ces musiques que l’on dit « ethniques » et dont les richesses n’ont d’égales que la savante complexité qui les animent. Ce faisant, j’ai tenté d’enrichir mon propre langage sans pour autant renier l’héritage culturel (occidental) qui est le mien.
... Il est une phrase que j’aurais aimé avoir écrite : « Quand le passé revient de façon imprévisible, ce n’est pas le passé qui revient : c’est l’imprévisible » (Pascal Quignard).
D’autre part, en ce qui concerne le titre de cette pièce, j’avais primitivement décidé d’emprunter un vers à Stéphane Mallarmé pour « illustrer » chacun des mouvements (la réunion de ces trois vers devant alors faire écho à mon propos musical). N’y parvenant point, un ami poète (Claude-Henry du Bord) vînt à mon aide. Et voici ce qu’il écrivit, que je fis mien :
2. S’ensommeille la paix...
3. Une étoile, demain, trouve un ciel inconnu.
Le mot ta’wîl, en arabe, a le sens de revenir, de faire retour à la source. C’est-à-dire : passer des apparences à la réalité, de la forme à l’essence. La voie spirituelle (tout comme la Musique pour moi) est une voie régressive qui conduit de la multiplicité à l’unité, de la périphérie au centre. La pensée hermétique (abstraction faite des différences de contenu) s’exprime, quant à elle, à travers le symbole ésotérique de l’Ouroboros qui conçoit le Monde dans l’éternité de ce qui n’a ni commencement ni fin. Shabestat écrit : « La fin, c’est le retour ».
Désespérant de ne pouvoir faire créer mon opéra L’Eve Future (d’après Villiers de l’Isle-Adam), je pensais, à l’époque, que seul un nouveau document sonore (l’extrait des musiques de films constituant What about Eve ? ne semblant point suffire) pourrait pallier à l’inconvénient de ne trouver aucun responsable de maison d’opéra susceptible, soit d’avoir le temps de se plonger dans une partition manuscrite de 250 pages (même propres et lisibles), soit de posséder les qualités musicales techniques nécessaires à sa lecture. Restait donc l’option d’en faire jouer d’autres extraits... Une commande de l’Ensemble Athelas (par le biais de la Radio Danoise) me permit de mettre ce projet à exécution. Se posa alors une autre problématique : celle de la nomenclature. Car si, pour What about Eve ?, le texte original n’avait subi aucunes transformations, je devais en revanche me résoudre à pratiquer ici une réduction d’orchestre afin de me couler dans la nomenclature de l’ensemble danois : une réorchestration était donc en partie nécessaire. Pour débuter cette partition, je choisis en premier l’interlude orchestral entier, qui, à la fin de l’opéra, nous plonge dans la tempête où The Wonderful coulera avec, à son bord, Lord Ewald et Hadaly (la Femme – Machine « idéale »). Et si j’incluais le passage suivant (celui où Edison reçoit en son laboratoire un télégraphe annonçant le naufrage du bateau en question), je ne saurais dire aujourd’hui avec exactitude où je pratiquai les multiples ponctions qui me permirent ensuite, tel un puzzle, de construire un tout m’apparaissant comme cohérent. Malgré l’origine quelque peu patch - work de cette page, celle-ci « coule » absolument naturellement et se suffit, à mon sens, à elle-même. En tous les cas, mon propos de départ (faire créer L’Eve Future) n’atteignit point son but. Peut-être aurait-il fallu écrire simplement l’ouverture que cet opéra ne contient pas ! Quant au titre retenu, il est porteur (comme toujours chez moi) d’au moins deux significations. On the Other Side of the Wind fait ainsi référence directe au titre d’un film qu’Orson Welles (pour qui j’ai une immense admiration) n’a hélas jamais pu réaliser. En outre, comme l’interlude orchestral de la tempête est le seul morceau de cet opéra à être resté ici entier... l’allusion me semblait assez bien venue d’autant que c’est de l’autre côté de la scène (dans la fosse) que cet interlude se devrait d’être entendu.
Le travail accompli par Alain Chobert au sein de la Maîtrise de Dijon est remarquable. Tout autant que son chœur d’enfants (de « grands ») nommé les Fiori Musicali. Passionné par la voix et l’écriture chorale j’avais depuis toujours le désir enfoui de pouvoir, un jour, composer pour des voix d’enfants... La pureté que peut atteindre leur chant est, à mon sens, une émotion à nulle autre pareille. C’est pourquoi je décidais un jour de proposer à Alain Chobert d’écrire des pièces pour sa Maîtrise. Pièces qui seraient évolutives dans leurs difficultés (de 1 à 6 voix égales) et qui lui permettraient d’aborder avec ses choristes un langage contemporain. Conçues donc, et avant tout, comme des œuvres (que l’on dira « pédagogiques » de par le degré de technicité que chacun de ces Motets requiert), je composais un recueil mélangeant des partitions a capella avec d’autres nécessitant un accompagnement à l’orgue (ou) au positif. La première contrainte que m’imposa Alain Chobert fut d’ordre temporel : entre 1’ et 2’30 ! Jamais je ne m’étais confronté à de si « petites formes ».J’eus donc le souci de dire beaucoup en très peu de temps, d’autant que certains de ces Motets devaient être mis ensuite au répertoire liturgique de la Maîtrise. Et c’est pour cette raison même qu’Alain Chobert me proposa la thématique de Marie... Les autres difficultés ? Je les rencontrais avant tout au sein de l’écriture rythmique et harmonique. Afin de les surmonter, je m’appuyais sur des courbes mélodiques solidement construites et un polymélodisme en guise de polyphonie.
1. Liebergang (Passage – Transition) ...
à Victor Serge
Héraclite disait de l’oracle de Delphes : « il ne dit ni ne cache, il fait allusion ». La Musique n’agit-elle pas de la sorte ? De fait, elle ne signifie rien. Et cette qualité même lui confère la possibilité d’infinies interprétations car le seul lieu de rencontre des significations est et reste le créateur. En Musique, il n’y a donc rien à penser ni à dire, et ce, dans la mesure où penser et dire sont l’essence même de notre volonté de communiquer un sens. Pour ces raisons, la Musique donne à penser et à dire infiniment. Mais le sens se forme au présent : dans l’acte de création (il ne se dégage donc qu’après coup). « Seul l’idéologue délibère avant de faire » écrit le philosophe Jankélévitch ! On ne peut d’ailleurs pas plus penser la Musique elle-même qu’on ne pense la Mort... La réalité musicale est toujours ailleurs : ni avant (dans la psychologie ou la biographie du compositeur), ni après (dans l’analyse ou la description de l’œuvre) !
2. So Langsam Rollt Sicht ab der Zieten Spindel (Tant l’écheveau du Temps se dévide) ...
à Flora Tristan (extraits de poèmes d’ André Roy, de Maïakovski et de l’Internationale)
Les techniques d’écriture, les nouveautés de vocabulaire n’expriment en rien la musique qui les porte. La Musique n’est pas réductible à une teknê, pas plus qu’on ne peut trouver la pensée dans le cortex cérébral ! La Musique est, simplement, un devenir « devenant ». De plus, si elle était langage (vernaculaire donc), le sens préexisterait à son expression dont le langage n’est que le support... « Le créateur pose ainsi l’essence conjointement avec l’existence, la possibilité en même temps que la réalité » (Jankélévitch). C’est pourquoi encore le poète russe Alexandre Block a pu écrire : « La Musique crée le Monde ». Or, si elle le crée c’est par métaphores et symboles interposés, et c’est seulement ainsi que nous pouvons l’entendre...
3. Aufhebung (Suppression – Dépassement – Conservation) ...
à Frantz Fanon
Si message il y a dans ces trois mouvements pour orchestre, il se résume dans cette citation de Renan : « L’Homme n’appartient ni à sa race, ni à sa langue, il n’appartient qu’à lui-même car c’est un être libre, c’est-à-dire, un être moral ». Chaque mouvement est ainsi dédié à un écrivain révolutionnaire qui s’est battu pour des idées que notre XXIème siècle voit hélas s’éteindre : l’idée d’un Monde commun à tous les Hommes, l’idée que la Liberté est un Droit Universel et que seul peut être libre un Homme éclairé.
La perte de l’élément harmonique en tant que potentialité formelle n’a pas été emplie par l’exigence organisatrice du contrepoint dodécaphonique Shoenbergien. En fait, ce qui importe n’est pas la linéarité du procédé mais son intégration au « tout » harmonique et formel : penser à J.S. Bach... L’échec de la musique sérielle serait-il alors de n’avoir pas abouti, à cause même de sa dissolution de tout élément formel pré-établi, à la possibilité de disposer à volonté du matériau et de la technique ? Beethoven montrerait-il la faille ? Et être libre ne serait-il possible qu’à l’intérieur d’un cadre formel établi ? Tout le sérieux de l’artiste résiderait-il alors dans l’invention qui renouvelle toujours des schémas du connu pour créer ce qui n’était encore jamais ? Aujourd’hui, la charge de créer la forme de chaque œuvre repose sur le compositeur. Il n’existe plus de main courante ni de fil d’Ariane. Tout comme pour le langage, le créateur se retrouve désormais seul, dans l’obligation de justifier l’emploi de la totalité de ses paramètres musicaux, de les rendre évidents, cohérents. Le Paradis est certes perdu. Non pas son souvenir... Restent l’imaginaire et l’invention. Restent les contraintes que l’on s’impose pour mieux les transgresser. Restent les innombrables possibilités de penser la forme...autrement. Ou bien, de revisiter celles du Passé, à condition néanmoins de ne point simplement s’y couler dedans !
Coda : emplie de canons, de formes miroirs, Le Miroir et Le Masque s’ingénie à masquer les techniques qui y sont utilisées : effort de construction formelle et non de destruction. La béance de Méduse signifie autant, si ce n’est plus, par son absence que la plénitude. Cependant, un jeu n’est qu’un jeu, une surface intellectuelle, un alibi de l’esprit. « L’important, disait Mahler, se cache derrière les notes ». Le titre est emprunté à une merveilleuse nouvelle de Borgés
Malgré tous mes efforts Alain Chobert trouva le recueil difficile dans le cadre du temps qui lui était imparti pour monter, à la fois, les œuvres pour les offices et celles pour les concerts (nombreux) qui jalonnent le cursus choral maîtrisien. Aussi décida-t-il de faire appel à des volontaires qui répétèrent en sus du travail que l’on exigeait déjà d’eux. Seulement deux de ces Petits Motets furent ainsi créés en concert. Alain Chobert ayant pris sa retraite depuis, les 15 autres attendent patiemment leur création par une autre Maîtrise et / ou un chœur de femmes…
Pièce joyeuse, emplies de rythmes aux couleurs africaines, cette partition a été écrite pour célébrer la naissance de mon fils, né le 27 Décembre 2005 alors qu’un envol de cygnes trouait de leur éclatante blancheur un ciel au bleu glacé et des arbres figés dont les branches, ployées par la neige, semblaient vouloir embrasser l’onde de la Saône. Daniel Kientzy m’avait demandé quelques jours auparavant une pièce pas trop longue pour son saxophone contrebasse et un ensemble de 6 percussionnistes. Je n’avais guère de temps devant moi pour honorer ma commande. Et donc, à l’insu de mon souvenir, une petite mélodie ensoleillée d’Afrique s’est mise à germer en moi. J’ai alors repris une partie de Rhumbs, l’ai retravaillé et me suis laissé aller à la joie d’écrire une partie de saxophone, brillante et enjouée (flirtant par ailleurs quelque peu avec le jazz). A cet épisode dansant, j’ai rajouté un prélude pour l’instrument soliste.
C’est assurément l’une de mes partitions les plus « solaires » ! J’en fis plusieurs versions pour différents solistes (saxophone baryton, saxophone alto, saxophone soprano, trompette en sib).
Envisager de se confronter à un genre musical aussi chargé de poids historique que celui qui a donné naissance à la littérature pour voix et piano n’est pas une démarche anodine ! Il s’agit tout d’abord de circonscrire les frontières esthétiques dans lesquelles votre langage et votre écriture propres pourront évoluer en totale cohérence avec le genre en question.… Pour un compositeur français (qui ne peut renier l’héritage spirituel, intellectuel et culturel de son pays, ni celui de sa langue) mais dont la culture musicale (choisie et assumée) se trouve avoir été profondément marquée par l’Histoire de la musique allemande (notamment de par l’enseignement de son maître, Ahmed Essyad, qui fut le plus proche élève de Max Deutsch, lui-même disciple de Schoenberg), la problématique se résolvait assurément en une question piège : lied ou mélodie ? Ma réponse fut le lied. Ceci posé, comment écrire de nos jours un lied qui ne soit point le simple écho de l’Histoire du genre le définissant, et qui, dans un langage « autre » que celui qui permit sa naissance et son évolution (je veux parler, ici, de la tonalité et de son évolution en tant que langage ancré dans les singularités que Schubert, Schumann, Brahms, Wolf, Mahler, Hindemith, Strauss, ou encore le Schoenberg des Gurre Lieder, y exprimèrent au sein de leurs œuvres) réussisse le challenge d’en retrouver l’essence inaltérable, l’universalité, la « substantifique moelle » ? Résumons en d’autres mots : comment rester moderne (c-à-d, « de son temps ») tout en s’inscrivant dans l’évolution de ce genre ? Comment donc être fidèle en l’esprit sans l’être pour autant dans la lettre et, par conséquence, ne point faire œuvre d’épigone ? Je suis donc parti à la recherche d’une définition satisfaisante. Mais circonscrire l’essence sensible du lied, celle, « spirituelle » sans laquelle ce genre spécifique ne serait qu’un concept purement intellectuel n’est pas chose aisée. En effet, il est question ici non pas d’esthétique mais bel et bien d’éthique (cette dernière est et reste d’ailleurs, à mes yeux, l’attitude et la démarche fondamentales de toute volonté compositionnelle se donnant pour but de « faire œuvre ») ! Pour parodier un écrivain célèbre je dirais volontiers qu’une écriture musicale sans conscience n’est que ruine de l’âme (et donc, de l’art qu’est la musique même). Reste qu’avant que de commencer à composer le premier de ces cinq lieder, je n’avais pas de réponse claire sur ce sujet. Comme le hasard n’existe pas, j’en vins à découvrir un article de Marcel Beaufils qui m’a (dans tous les sens de ce terme) « éclairé » de par la pertinence et la justesse de sa réflexion. En voici l’extrait correspondant : « Lied : une qualité profonde d’évidence et de sincérité ; mais dans une ubiquité de l’expérience humaine et de ses nostalgies, qui dépasse en tableaux courts de vérité universelle tout ce qu’a pu prétendre exprimer l’opéra ; tout ce qu’a exprimé même la poésie (…) Lied : une synthèse de tout lyrisme possible, dans une fiction, d’ailleurs mal gardée, de simplicité sous laquelle gronde et résonne une profondeur d’authenticité humaine ; parce que le musical ramène toute vision, toute spéculation, tout sentiment même – tout ce qui constitue le verbe tragique de l’homme – d’une sorte de gratuité formelle du verbal à une présence intérieure, à une expérience obsédante des forces : comme si la musique seule pouvait emplir le cadre verbal du poète d’une matérialité suffisante d’univers». Ensuite, Marcel Beaufils décrit toutes les caractéristiques spécifiques successives prises par le lied au travers de ses représentants allemands sans que pour autant l’essence de ce genre ne s’en soit trouvée altérer. Arrivé à Schoenberg, il écrit alors : « Sur une conception neuve de la musique, mais qui répond à une vision neuve des choses, et surtout à une immense loyauté de l’esprit et du cœur, Schoenberg bâtira les fondements d’un univers. Ce lied-là est une autre aventure. Elle est en cours». C’est, de fait, dans cette aventure-là que j’ai voulu inscrire ce cycle de lieder, en toute modestie, sans aucune nostalgie envers le passé, en y investissant tout mon être musical au travers des outils qui sont les miens, en toute conscience des enjeux de la modernité que j’ai relevé, auxquels ma génération a été confronté, et qui me définissent en tant que compositeur (ceux que j’ai fait miens, bien entendu, mais aussi, tout aussi signifiants, ceux que j’ai refusé ou contourné). Ceci, dans le respect de l’éthos de ce genre ainsi que dans le souci constant de faire résonner au plus profond - musicalement parlant - ces poèmes de Lucien Guérinel.
Le titre de ce cycle, extrait d’un des recueils de ce compositeur-poète, résume en outre, du moins je le crois, ma démarche même de créateur.
Une bonne dose d’inconscience, la volonté de se mesurer à une forme dramatique avant que d’aborder le « grand opéra » ; le désir de la voix, du texte, de personnages à incarner musicalement. Hanté par Boris, Pelléas et Mélisande, Wozzeck. Non, opéra pas mort M. Théâtre Musical ! Pris au piège. La page se noircit. Plus de retour possible. Trop engagé, il faut poursuivre. La peur du Temps, de manquer à la justesse expressive, à la vérité musicale. Les angoisses : face à l’emploi de l’orchestre aux couleurs si sombres, face à la forme par tableaux, face à la structure globale, face à la ligne vocale, face aux impératifs scéniques, face aux lois dramaturgiques essentielles. L’affolement de rester seul sans le regard acéré de mon maître... Assumer ses faiblesses, ses manques, ses méconnaissances. Prendre les risques nécessaires, non inutiles. Se remettre en question perpétuellement. Et, sans cesse, le choix inéluctable qui régit à la fois ce qui précède et ce qui suit. Tenter de ne pas mollir dans l’écriture. Aiguiser sa pensée et son autocritique... Il faudrait chaque jour pouvoir réécrire le déjà fait, affiner ses propres questionnements que les grands aînés ont quant à eux résolus. L’écriture se fait lente, de plus en plus lente.
Tout a commencé à la lecture d’Edgar Allan Poe : la tentation irrésistible du fantastique. Le mythe de la Maison Usher et le fantôme de Debussy. Perdu tout espoir de trouver « la » bonne nouvelle, suffisamment courte et suffisamment longue à la fois afin de servir de sujet opératique. Mais, d’ailleurs, qu’est-ce que l’opéra, ses exigences, un livret, les nécessités dramatiques par rapport au musical ? Aucune idée claire à ce sujet lorsque Harry Halbreich me parla de La Barrique d’Amontillado ! L’histoire d’une vengeance horrible : l’époque en est lointaine, du temps où l’on n’hésitait pas à laver dans le sang une humiliation. L’objet de celle-ci nous restera inconnu, Poe ne donnant aucune clé du passé des deux protagonistes en présence... Le prix à payer est cependant élevé : emmuré vif ! Premières réactions : belle minceur de ressort dramatique pour un opéra ! Où se trouve l’universel humain dans ce meurtre sans passions ni explications ? Quant à la musique éventuelle, le rébus qu’elle posait me semblait bien embrouillé : pas d’action, psychologiquement quasi inexistant, moralement insoutenable. Autant d’objections balayées par l’enthousiasme d’Harry Halbreich lorsqu’il m’apporta le livret sur un plateau d’argent.
La tentation alors : de la forme (suite de stations chantées et de cheminements uniquement instrumentaux), de la gageure de signifier musicalement cette descente aux enfers (trois niveaux avant la crypte fatale), du problème musical posé par l’emmurement et enfin par le duo des cris qui y est inséré. Alors, pourquoi pas ? Ce fut ainsi décidé. Mon maître (Ahmed Essyad) travaillait alors sur son opéra : L’Eau. Je lui soumettais les esquisses de la partition. Le travail commençait qui requit les conseils et la collaboration d’Anne Brigitte Kern (pour la dramaturgie). Travail, hélas, non mené à terme pour la création en oratorio lors du Festival des Musiques du XXème siècle d’Angers (en effet, la partition fut jouée sans le final de l'emmurement de Fortunato d'une durée de 15') que je n'eus pas le temps d'achever pour la date de création !
Depuis, Fortunato est bel et bien emmuré, et la partition, achevée, dort quant à elle dans un tiroir tel l’infortuné en sa crypte mortuaire.
Cette courte pièce de quelques 3 minutes faisait partie du Prologue de mon opéra pour marionnettes (Le Trésor de la Nuit). De sa forme initiale, pour soprano, ténor et petites percussions, je l'ai transcrit pour chœur d'Hommes. Mais cette version, en devenant un bis de concert, n'a jamais été créée.
Cette pièce est en fait l’arrangement pour quatuor de saxophones d’un extrait (retravaillé en partie) de mon trio à cordes (Dans le Corps Obscur de la Métamorphose).
Cela étant posé, la destination de ce morceau était d’ordre pédagogique (c’est-à-dire prévue pour être travaillé dans une classe de conservatoire de fin de 2ème cycle – début 3ème)... J'ai donc considéré qu’un élève (de quelque niveau qu’il soit d'ailleurs) se devrait toujours d’être avant tout considéré comme un musicien (en phase d’apprentissage, certes, mais un musicien). Sinon, pourquoi faire d’un instrument ? Pour ânonner des textes purement techniques ? Je persiste donc à penser que "l’œuvre pédagogique" n’est assurément pas la seule résultante d’une pensée pédagogique, mais qu'il lui est bel et bien nécessaire de détenir une pensée musicale, car, me semble-t-il, c’est seulement ainsi que la musique contemporaine pourra séduire nos apprentis musiciens.
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